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A LA UNE

Grand Entretien

Valérie Létard,
Ministre chargée du Logement

Près de 2,8 millions de Français sont en attente d’un logement social,
selon les dernières estimations fin mai de l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui pointe un record historique avec une demande en hausse et généralisée dans tous les territoires. À six mois des élections municipales de mars 2026, Valérie Létard, Ministre chargée du Logement, revient pour Territoires Durables Magazine sur la crise du logement dans un contexte politique tendu, entre réductions budgétaires, inégalités territoriales et adaptation au réchauffement climatique.

« l’année 2024 marque un point bas historique de la production de logements avec -12 % d’autorisations et -11 % de mises en chantier par rapport à l’année précédente »

À l’approche des élections municipales, l’adage « maire bâtisseur, maire battu » refait surface. Pourquoi la construction de logements neufs est-elle tellement impopulaire ? 

Il est vrai que l’approche des échéances électorales peut ralentir l’autorisation et l’acceptation de projets de construction, mais l’agenda électoral ne doit pas dicter la politique de logement. Ce qui doit guider l’action publique locale, c’est l’intérêt des habitants, le développement équilibré du territoire, et la capacité à répondre aux besoins des familles, des jeunes, des travailleurs, des aînés. Construire doit permettre de répondre à une réalité, de se préparer pour demain. Nos territoires ont besoin de logements accessibles pour rester attractifs, dynamiques et vivants.
Cela suppose du courage politique, et je tiens à saluer les nombreux maires qui font ce choix. L’État est à leurs côtés. Nous avons mis en place une aide aux maires bâtisseurs : jusqu’à 5 000 euros par logement autorisé, pour financer les équipements publics nécessaires à l’accueil de nouveaux habitants. Ce soutien est souple, décentralisé, à la main des préfets, parce que nous savons que chaque territoire a ses réalités. Nous constatons déjà que plusieurs communes se sont manifestées, pour un total de 8 400 logements dont près de 2 900 sociaux. La crise du logement ne peut pas attendre la fin d’un mandat municipal. À nous, État et collectivités, d’apporter ensemble, avec pragmatisme, écoute et responsabilité des réponses aux professionnels, bailleurs, citoyens.

 

La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) fête ses vingt-cinq ans, or 64 %
des communes sont mauvaises élèves dans son application. Quel bilan tirer de cette loi majeure, quand 2,7 millions de ménages attendent encore un logement social ? Comment faire pour accompagner les élus locaux volontaires qui rencontrent des difficultés pour appliquer la loi ? 

La loi SRU, vingt-cinq ans après son adoption, reste un texte fondamental. Elle a permis la construction de plus d’un million de logements sociaux dans des communes qui, jusque-là, n’en proposaient pas ou très peu. Mais je le dis avec lucidité, les résultats restent insuffisants.
On ne peut pas se satisfaire de cette situation. La loi SRU n’est pas un objectif abstrait, c’est une exigence républicaine. C’est pourquoi j’ai souhaité adresser un signal fort. Nous relançons une mobilisation à tous les niveaux. J’ai écrit à l’ensemble des préfets pour leur demander un pilotage renforcé, un bilan intermédiaire des objectifs 2023-2025, et un accompagnement spécifique pour les communes qui veulent agir mais rencontrent des freins. Je crois à l’alliance avec les maires volontaires. C’est le sens des contrats de mixité sociale, créés par la loi 3DS (différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) : des outils souples, concrets, adaptés aux réalités locales. Plus de 350 ont déjà été signés, et nous voulons en conclure davantage d’ici fin 2025. L’État est prêt à accompagner techniquement et financièrement les communes engagées.

L’objectif est de traiter les situations avec discernement, sans renoncer à nos ambitions, aussi nous lançons dès maintenant la campagne d’exemption pour la période 2026-2028, en prenant notamment en compte les enjeux d’inconstructibilité et les effets du changement climatique. La loi SRU doit rester une loi d’équilibre, une loi de justice sociale.

 

Quels sont les leviers pour réduire l’impact du secteur du bâtiment sur le changement climatique (23 % des émissions nationales de gaz à effet de serre, selon l’ADEME), tout en maintenant l’aménagement des territoires ?

Réduire l’impact du bâtiment sur le climat est indispensable mais faire de l’écologie pour l’écologie - c’est-à-dire sans prendre en compte les dimensions sociales et économiques de la transition - crée des tensions et nous mène à une impasse. Il faut répondre à cette exaspération par des mesures concrètes : je défends le calendrier ambitieux de la loi Climat et Résilience sur les logements E, F et G et en même temps je défends les assouplissements de bon sens apportés par la proposition de loi
de la sénatrice Amel Gacquerre votée en première lecture au Sénat le 1er avril dernier. Je souhaite qu’elle soit rapidement votée à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, l’année 2024 marque un point bas historique de la production de logements avec -12 % d’autorisations et -11 % de mises en chantier par rapport à l’année précédente. En plein creux du cycle, il faut veiller à ne pas alourdir les coûts de construction en empilant les normes mais accélérer sur les modèles de construction plus sobres : transformation des bureaux en logement et innovation avec la construction hors-site. Surtout, il faut maintenir le budget de la rénovation énergétique en général et de MaPrimeRénov’ en particulier, qui est un outil massif au service de l’amélioration des logements dans les territoires.

 

Précisément, le dispositif MaPrimeRénov'cristallise les critiques, entre budgets en baisse, délais de paiements à rallonge, contrôles qui traînent... Pourquoi de tels dysfonctionne­ments, alors que la rénovation énergétique est un des outils permettant la réduc­tion des émissions carbonées ? 

On entend toujours davantage l’arbre qui tombe que la forêt qui pousse. Depuis 2020, MaPrimeRénov’ a permis de rénover les logements de 2,5 millions de ménages. Qui à 70 % sont des ménages modestes. C’est considérable. Pourtant en 2024, 1,2 millions de ménages ont encore connu des problèmes d’impayés de facture d’énergie. Nous sommes dans la bonne voie et il ne faut rien lâcher si l’on veut en finir avec la précarité énergétique.
A la mi-mai 2025, on compte plus de 100 000 rénovations engagées dont plus de 35 000 rénovations d’ampleur c’est-à-dire trois fois plus qu’à la même période l’année dernière et ce malgré l’adoption tardive du budget 2025. C’est la première fois qu’une politique de rénovation énergétique connaît une telle montée en puissance. Cela montre que les Français se sont emparés de l’outil, et c’est une bonne nouvelle. Ce succès entraîne une pression accrue sur les services, en particulier pour les rénovations les plus ambitieuses.
Les délais d’instruction se sont allongés de 70 à 100 jours en moyenne (et pas 300 comme on a pu le lire), et nous en avons conscience. Il faut bien distinguer cela des délais de paiement, qui eux restent stables à environ 40 jours en moyenne. Une expérimentation est en cours dans plusieurs territoires pour renforcer les capacités d’instruction avec un appui national. C’est une première étape. Il faudra ensuite adapter les ressources humaines et techniques pour absorber cette dynamique.

Il y a aussi un autre facteur essentiel, la lutte contre la fraude. Je rappelle les chiffres : 229 M€ de fraude évitée par l’Anah l’année dernière et 100 M€ de fraude suspectée sur les dispositifs MaPrimeRénov’ et les CEE par les services du ministère de l’Economie (Tracfin). Nous faisons face à une professionnalisation de la fraude qui menace la crédibilité du dispositif mais là aussi il faut savoir garder son calme : le taux de fraude reste compris entre 3 et 4 % dans la moyenne des autres dispositifs et la fraude est en baisse, d’après le ministère de l’Économie. Pour autant nous avons fortement renforcé les contrôles et nous allons continuer à le faire en prenant rapidement les textes d’applications de la proposition de loi de Thomas Cazenave contre toutes les fraudes aux aides publiques. Je sais que ces contrôles peuvent générer des lenteurs, mais ils sont indispen­sables pour garantir la confiance des ména­ges et des professionnels. La rénova­tion énergétique est indispensable à notre trajectoire climatique, mais aussi à la réduction des factures des ménages ; MaPrimeRénov’ doit donc rester
un outil simple, fiable, rapide et avec des moyens à la hauteur.

 

La mise en œuvre du « Zéro artificialisation nette » (ZAN) est inscrite dans la loi Climat et résilience de 2021. La mesure est actuellement chahutée par deux propositions de loi opposées. Quel regard portez-vous sur cette neutralité prévue d’ici à 2050 ? 

Le ZAN est une méthode pour mieux aménager, pas pour arrêter de construire. On ne peut plus consommer 20 000 hectares de terres agricoles ou naturelles chaque année, mais on ne peut pas non plus faire abstraction de la crise du logement ni des besoins des territoires qui accueillent de nouvelles populations et des entreprises. Nous devons maintenir l’ambition environnementale de la loi, mais nous devons l’adapter avec pragmatisme. Tous les territoires n’ont pas les mêmes dynamiques. Dans certains, il faut continuer à construire des logements, des écoles, des établissements de santé, des équipements publics. Dans d’autres, les besoins sont moindres, la réha­­bi­litation doit être la priorité, où les terres déjà artificialisées offrent un potentiel incroyable pour refaire la ville sur la ville. La loi a fixé des objectifs, nous devons maintenant apporter les outils : c’est pourquoi nous travaillons avec les élus, les parlementaires, pour ajuster le modèle économique du ZAN, adapter la fiscalité, et surtout accompagner les collectivités. Je veux saluer les très nombreuses collectivités qui se sont déjà saisies du ZAN comme d’une opportunité et qui mettent en œuvre des solutions vertueuses et innovantes. C’est une preuve que cette transition est possible dès lors qu’elle est menée dans un esprit de dialogue, d’adaptation et de responsabilité partagée.

 

Dans quelle mesure accompagnez-vous les territoires dans l’accès à une offre de logements quali­tatifs, afin de réduire les inégalités sociales et territoriales ? 

Lutter contre les inégalités sociales et territoriales par le logement, c’est d’abord reconnaître la diversité des besoins et des situations locales, et y répondre avec des solutions concrètes, territorialisées et coconstruites. Notre action s’appuie sur plusieurs leviers. D’abord, le soutien à l’accession à la propriété pour les ménages modestes, partout sur le territoire. À compter du 1er avril 2025, le Prêt à taux zéro (PTZ) est désormais accessible sur l’ensemble du territoire national, y compris en zone rurale, pour l’achat d’un logement neuf, qu’il s’agisse d’un appartement ou d’une maison. C’est un choix fort pour soutenir les parcours résidentiels, notamment en dehors des grandes métropoles. Nous renforçons également l’action en faveur de l’habitat en milieu rural, où 78 % des communes sont aujourd’hui couvertes par un dispositif opérationnel de l’Anah. Avec Françoise Gatel, ministre chargée de la Ruralité, nous travail­lons main dans la main pour valoriser les solutions locales, simplifier les outils d’aménagement, et mobiliser les fonciers vacants ou délaissés grâce à des mesures comme la facilitation des procédures liées aux biens sans maître. Enfin, nous portons une attention particulière à l’adaptation de l’habitat aux besoins des publics les plus fragiles : personnes âgées, en situation de handicap ou jeunes.
Le développement de nouvelles formes d’habitat partagé - habitat inclusif, intergénérationnel, résidences autonomie, colocation senior - constitue un pilier de notre stratégie pour un logement digne
et choisi, dans tous les territoires.
Cet accompagnement s’appuie sur une méthode : l’écoute, le dialogue et la co-construction avec les élus, les professionnels, les associations et les habitants eux-mêmes. Car c’est en partant des réalités de terrain que nous pourrons bâtir une offre de logement à la fois qualitative, accessible et adaptée.

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Territoires Durables

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