
TERRITOIRES
Ivry-sur-Seine
Ivry-sur-Seine, l'éco-révolution ancrée dans le réel
Améliorer le cadre de vie des habitants tout en préservant les ressources naturelles est l’équation que la municipalité cherche à résoudre au quotidien.
Entretien avec Philippe Bouyssou,
Maire d’Ivry-sur-Seine
C’est avec une verve intarissable que le Maire d’Ivry-sur-Seine, Philippe Bouyssou, nous accueille dans l’Hôtel de Ville pour évoquer la politique de développement durable déployée par sa Ville. Un siècle de gestion municipale communiste marque son propos d’une empreinte singulière, ancrant les considérations environnementales dans un prisme social résolu.

« Chaque nouveau projet fait l’objet
de concertations en amont et en aval pour le rendre désirable et compréhensible par tous. »
Quelle philosophie sous-tend votre approche de la transition écologique ?
Nous ne dissocions jamais les questions sociales des questions environnementales. Elles avancent d’un pas égal depuis deux décennies. D’où la récente création d’un poste d’adjoint à la ville en transition qui cristallise cette démarche holistique. Notre objectif : une densification maitrisée pour mutualiser les infrastructures, lutter contre l’étalement urbain écocide et garantir le droit à la ville pour toutes et tous.
Concrètement, qu’implique cette quête pour votre ville ?
Construire du logement social sur les friches industrielles fait partie des solutions. Le chantier d’Ivry-Port, l’un des plus vastes projets de la petite couronne, en est l’illustration phare. Notre taux de 40 % de HLM nous permet de combiner fluidité des parcours résidentiels et accessibilité aux classes populaires. Ivry vise à devenir une «ville-refuge», accueillant des familles en quête d’un accomplissement digne, mais aussi des migrants qui trouvent ici cinq cents places d’hébergement décent.
Malgré tout, le spectre de la gentrification ne plane-t-il pas ?
70 % des demandeurs de logements sociaux Ivryens, sont éligibles aux loyers les plus bas. Preuve qu’une frange très populaire reste solidement implantée par choix, sensible à la solidarité locale, la vie culturelle formidable et les services publics généreux. Ces vecteurs, adjoints à notre politique éducative - dont l’émancipation est la clé de voûte - permettent d’unifier nos diversités. La « gentrification », quand elle a lieu, naît souvent... des parcours d’émancipation de nos propres enfants !
Au rang des autres réalisations phares ?
La reprise en main des réseaux de chauffage urbain nous permet d’imposer des tarifs abordables tout en favorisant la géothermie, qui représente 77 % du mix énergétique. Nous amorçons la renaissance des quais de Seine, où plus de douze hectares redeviendront naturels une fois la circulation automobile proscrite. Nous modernisons notre usine d’incinération pour systématiser le tri des biodéchets, conformément aux injonctions réglementaires.
Malgré ces efforts, des ombres au tableau ?
Nos défis sont liés à la densification : résorption des pollutions industrielles héritées, conception d’une logistique lourde fluviale dédiée... Mais notre plus grande bataille est d’apprendre à avancer pas à pas avec nos habitants. Comme le montre notre assemblée citoyenne dédiée à la Conférence Climat, seule une intelligence collective permettra de porter nos ambitions.
Où vous situez-vous au regard des autres villes pionnières ?
Nous n’avons pas encore les moyens symboliques des grandes villes phares de la transition. Mais notre bilan pragmatique séduit d’autres communes, qui viennent s’inspirer de notre modèle pour infuser la résilience face aux difficultés auxquelles font face les communes de banlieues populaires.
Au-delà des réalisations, vous évoquez certains défis récalcitrants. Quelles leçons tirez-vous de ces obstacles ?
Ces difficultés nous rappellent qu’il n’existe pas de transition écologique sans véritable adhésion populaire. Trop souvent, les politiques environnementales se sont construites dans une logique descendante, en déconnexion avec les réalités et les attentes des habitants.
À Ivry, nous avons fait le choix d’apprendre dans la complexité du terrain, en évitant les approches doctrinaires. Par exemple, pour rendre notre future plaine de jeux des berges de Seine opérationnelle, nous devons d’abord réinventer une logistique fluviale des déchets et des marchandises. Sinon, nous ne ferions que déplacer la pollution au lieu de la résorber. De même, nous refusons les injonctions descendantes pour le tri
des biodéchets qui ignorent les contraintes d’une population précaire. Nous préférons démontrer par l’exemple, en témoignant des gains concrets permis par ces nouvelles filières.
Notre maître-mot reste donc la pédagogie permanente. Chaque nouveau projet fait l’objet de concertations en amont et en aval pour le rendre désirable et compréhensible par tous. C’est ce lent mais indispensable travail de convergence des représentations qui permettra, demain, de massifier ces pratiques vertueuses.
Mot de la fin ?
Gardons-nous des « villes pour riches » où la durabilité ne serait qu’un prétexte pour se dédouaner de la mixité. Accueillir tous les types de population tout en réparant les dégâts que nous a légué un siècle d’industrialisation forcenée : voilà l’équation que nous tentons de résoudre, jour après jour.