LE NOUVEAU MAGAZINE D'INFORMATION DES TERRITOIRES
A LA UNE
Grand entretien
Célia de Lavergne,
Directrice de l’Eau et de la Biodiversité
du Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires
La sécheresse de l’été 2022 avait sonné l’alerte et violemment rappelé que les ressources naturelles en eau n’étaient pas infinies.
Fin mars 2023, Emmanuel Macron proposait un vaste plan pour améliorer la gestion de l’eau. Un an plus tard, alors que le gouvernement se targue « d’avoir engagé 100 % des cinquante-trois mesures annoncées », le bilan semble néanmoins mitigé. Des travaux ont certes été engagés pour réduire les fuites sur les réseaux d’eau potable et de nombreux projets innovants ont été lancés pour réutiliser les eaux usées, permettant ainsi à la France de commencer à rattraper son retard. Cependant, les grandes promesses sur la généralisation d’une tarification progressive ou sur la réduction des pollutions, n’ont pas vu le jour.
Entretien réalisé par Hélène Imatte
« La sécheresse de 2022 a été un véritable choc
qui a permis une prise de conscience collective. Et si l’Espagne est en avance dans la réutilisation de ses eaux traitées, c’est qu’elle expérimente
cette sécheresse depuis bien plus longtemps déjà. »
Lancé fin mars 2023 par le président Macron, le Plan eau fête son premier anniversaire. Parmi les cinquante-trois mesures annoncées, quelles sont les plus emblématiques mises en œuvre durant cette première année ?
Dans le cadre de la planification écologique, la gestion de la ressource en eau a fait l’objet d’un plan spécifique permettant notamment de décliner une trajectoire de sobriété par bassin versant et intégrer l’objectif de réduction de 10 % des prélèvements de la ressource d’ici 2030. Parmi les mesures emblématiques, la mobilisation des industriels autour de leur consommation en eau : à cet égard cinquante-cinq sites représentant 25 % de la consommation en eau industrielle française se sont engagés sur cette trajectoire, et vingt-huit d’entre eux sont dotés d’un plan de sobriété hydrique. Autre point majeur sur lequel nous avançons : la réduction des fuites d’eau dans les réseaux, qui sont de l’ordre de 20 % en France. Grâce à des outils pour accompagner techniquement et financièrement les collectivités présentant les réseaux les plus défaillants, nous avons résorbé soixante-deux des cent soixante et onze points noirs, tandis que quatre-vingt-treize sont en phase d’accompagnement par les agences de l’eau. Enfin, je crois utile de citer une mesure destinée au grand public, la mise en place du site VigiEau, une plateforme qui partage les restrictions liées aux épisodes de sécheresse localement..
Dans son rapport du 19 juillet 2023, la Cour des comptes a pointé du doigt la complexité de la gouvernance de la politique de l’eau. Dans quelle mesure pourrait-on renforcer son pilotage à des échelles géographiques adaptées ?
Qu’il s’agisse de gouvernance comme de financement, le sujet de l’eau est complexe : il couvre des sujets très larges tels que le traitement et la distribution d’eau potable, la collecte et le traitement des eaux usées, la gestion des eaux de pluie, la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations… Autant de sujets reliés pour chacun à une échelle territoriale particulière conciliant autant que possible réalité physique et échelon administratif d’un territoire. En termes de gouvernance, la gestion territoriale par bassin hydrographique défendue depuis 1964 reste un échelon pertinent qui garantit le grand cycle naturel de l’eau, sans lequel on ne peut envisager le petit cycle domestique. Il faut donc conforter cette gouvernance, la doter de nouveaux outils de pilotage pour projeter la future disponibilité en eau. Au-delà de cet échelon, il faut se donner la possibilité d’établir de nouveaux échelons liés à des situations particulières rencontrées dans certains territoires.
Le rapport pointe également un manque de transparence dans le financement public de la politique de l’eau. Pourquoi est-il si peu lisible ? Et comment faire pour l’améliorer ?
Concernant l’enjeu du financement, les pollutions émergentes et la tension sur la disponibilité et la qualité des ressources vont nous inviter à investir davantage, en identifiant des systèmes de financement acceptables et justes socialement. Nous avons déjà franchi une marche significative : le budget des agences de l’eau augmente de quatre cent soixante-quinze millions d’euros dans le cadre du Plan eau, de quoi étendre considérablement leur capacité d’action. Dans le cadre de la loi de finances pour 2024, une réforme des redevances des agences de l’eau a par ailleurs participé à un rééquilibrage de la charge des citoyens vers les autres usagers pour mieux répartir l’effort de contribution de chacun.
Les récents épisodes de sécheresse illustrent qu’un accès durable à tous les usages de l’eau n’est pas garanti, notamment dans les zones où le prélèvement
est incompatible avec le taux de renouvellement de la ressource. Quels leviers permettent de sécuriser les approvisionnements ?
La science, le dialogue et la co-construction à l’échelle locale ! Tous les territoires vont se doter d’une commission locale de l’eau (CLE), instance à l’échelle d’un sous-bassin rassemblant tous les usagers, chargée de dialoguer autour de la bonne gestion de l’eau à cette échelle permettant de concilier les usages avec la ressource disponible. Appuyée par des études sur les volumes prélevables et des modèles prospectifs sur la disponibilité de la ressource fournis par des programmes de recherche nationaux tels que le projet Explore 2, la CLE crée du consensus sur la juste répartition des volumes en fonction des usages et se voit accompagnée par les agences de l’eau pour la mise en œuvre des plans d’action correspondants. Dans certains territoires se sont constitués des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), qui visent également une approche coconstruite pour préserver et gérer la ressource en eau face à une tension forte sur la ressource. En tant que pouvoirs publics, grâce aux études que nous menons sur le milieu et la disponibilité, notre rôle est d’accélérer ces projets.
Pour inciter les gros consommateurs à modifier leur comportement, pourquoi l’outil de la tarification progressive n’est-il pas mis en place systématiquement ?
La mise en place du tarif de l’eau est l’apanage de la collectivité compétente en la matière : c’est elle qui installe les modalités de tarification pour son territoire. Elle doit être accompagnée face aux défis sociaux, environnementaux et financiers posés, notamment pour la prise en compte des particularités locales. Avec elles, nous menons un travail de réflexion autour du modèle économique des contrats d’eau potable et d’assainissement (entre les régies, les autorités organisatrices...) afin de sortir de la logique par volume pour introduire peu à peu une logique de sobriété et de récompense des efforts en matière d’économie d’eau. En effet, pour atteindre nos objectifs de sobriété, une marge de manœuvre conséquente réside dans les comportements des usagers.
En France, seul 1 % des eaux usées traitées est réutilisé. Pourquoi la France est-elle si mauvaise élève en la matière ? L’objectif de 10 % annoncé par le Président dans son Plan eau est-il réellement envisageable, sachant qu’il ne reste que six ans pour y parvenir ?
Ce chiffre traduit effectivement un ressenti passé de surabondance de la ressource et traduit un choix politique français de porter des exigences sanitaires plus élevées que celles des autres pays européens sur la réutilisation des eaux usées pour tout usage. La sécheresse de 2022 a été un véritable choc qui a permis une prise de conscience collective. Et si l’Espagne est en avance dans la réutilisation de ses eaux traitées, c’est qu’elle expérimente cette sécheresse depuis bien plus longtemps déjà. D’ici 2027, le gouvernement s’est fixé l’objectif de mille projets de réutilisation sur le territoire, dont cinq cent neuf sont aujourd’hui en cours ou à l’étude. Il faut également revoir le cadre réglementaire pour questionner la matrice typologique de l’eau et de ses usages et, à ce titre, nous sommes en train de retravailler un dispositif réglementaire interministériel complexe. C’est un chantier très stimulant pour ouvrir de nouvelles voies de réutilisation de l’eau, tout en conservant des garanties sanitaires élevées.
L’élimination des micropolluants est incomplète dans le traitement des eaux usées, or ces particules constituent une réelle menace pour la santé et l’environnement. Que préconisez-vous pour relever
le défi de les éliminer totalement ?
Les dispositifs de surveillance ont été considérablement améliorés avec les agences de l’eau. Il nous faut agir d’abord sur la prévention de ces pollutions, en évitant la contamination des milieux aquatiques et sur la sécurisation de la qualité de l’eau distribuée en traitant les résidus passés ou diffus. Les exigences sanitaires françaises sont très élevées pour protéger la santé des français. Concernant les eaux usées, la directive européenne ERU (dite DERU) vient d’être révisée, mettant progressivement en place une nouvelle obligation de traitement dit quaternaire des micropolluants afin de limiter les rejets au milieu. Pour financer cette obligation, sera mis en place un système de contribution par la responsabilité élargie du producteur, qui va concerner notamment les industries pharmaceutiques et cosmétiques. Garantir une eau potable de qualité est un enjeu majeur et les collectivités sont dotées d’outils de contrôle pour cartographier précisément les différents niveaux de micropolluants.