LE NOUVEAU MAGAZINE D'INFORMATION DES TERRITOIRES
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Grand entretien
Olivier Sichel, directeur général de la Banque des Territoires
Prêts à long terme, conseil, investissements dans les projets et les
structures… La Banque des Territoires accompagne le développement territorial. La transition écologique et énergétique est aujourd’hui au cœur de son action. Pour Olivier Sichel, son directeur général, le problème n’est pas son financement, mais la capacité à définir des projets consensuels et à trouver des professionnels pour les réaliser.
Entretien réalisé par Bénédicte Juhel
« La Banque des Territoires est un gros investisseur dans les énergies renouvelables :
elle représente chaque année 20 % de la capacité additionnelle d’énergies renouvelables en France. »
Quelles sont les missions et les moyens d’action de la Banque des Territoires ?
La Banque des Territoires agit pour la transformation écologique et pour la cohésion sociale et territoriale, ainsi que pour l’aménagement du territoire. Nous avons repris la mission historique de cohésion sociale de la Caisse des Dépôts en faveur du logement social. Qui dit logement social dit construction, mais aussi rénovation et notamment rénovation thermique. La Banque des Territoires a aussi une mission d’aménagement qui n’est pas uniquement liée à la transformation écologique.
Par exemple, nous terminons une mission sur l’équipement des zones rurales en très haut débit.
Pour la cohésion territoriale, le très haut débit c’est important.
Pour permettre ces projets, nous prêtons de l’argent aux acteurs des territoires. Chaque année, nous accordons douze milliards de prêts. Cet argent vient du livret A, qui est le placement préféré des français. Il peut être prêté sur de longues durées, jusqu’à quarante ans.
La Banque des Territoires investit aussi dans des sociétés d’économie mixte (SEM), des projets, des infrastructures. Depuis la création de la Banque des Territoires en 2018, le volume d’investissement a
été multiplié par trois, ce qui représente un rythme d’investissement de deux milliards chaque année.
Enfin, la Banque des Territoires a une mission de conseil auprès des collectivités territoriales, pour les aider dans leurs projets.
Quelles sont vos actions pour aider les acteurs des territoires dans la transition écologique
et énergétique ?
Tout d’abord, nous accordons des prêts pour la rénovation thermique des logements sociaux et des bâtiments publics, qui sont pour la majorité des écoles. Nous venons de lancer EduRénov, pour financer la rénovation de dix mille écoles d’ici 2027 sur les quarante mille que compte la France.
La Banque des Territoires est aussi un gros investisseur dans les énergies renouvelables : elle représente chaque année 20 % de la capacité additionnelle d’énergies renouvelables en France. Il s’agit surtout d’énergie photovoltaïque, d’éolien offshore et un peu de géothermie. A travers la Compagnie nationale du Rhône - dont nous sommes le deuxième actionnaire - nous soutenons aussi l’énergie hydraulique.
Enfin nous finançons des infrastructures. Comme je l’ai déjà dit, nous avons été au rendez-vous pour équiper les territoires en très haut débit. Il y a un autre domaine dans lequel nous investissons beaucoup, c’est le réseau de bornes de recharge pour véhicules électriques.
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La Banque des Territoires accompagne aussi la réindustrialisation. Est-ce compatible avec
le développement durable ?
A priori, on pourrait penser que non ; d’abord parce que réindustrialiser nécessite de construire des usines, donc d’artificialiser les sols. Pour récupérer 2 % de PIB industriel d’ici dix ans, il faut vingt mille hectares pour créer des usines. Mais on peut réutiliser dix mille hectares de friches industrielles, déjà artificialisées. Je pense par exemple à Mulhouse, où il y a une vieille industrie de textile qui laisse douze hectares de friche en plein centre-ville. La reconquête de ces friches ne se fait pas au détriment de l’artificialisation. Et l’on peut créer quatre mille hectares à l’intérieur des zones existantes en les densifiant. On peut donc réindutrialiser sans artificialiser.
Ensuite, il y a le sens des projets que nous soutenons. Nous finançons une industrie de décarbonation et d’accompagnement du développement durable. Quelques exemples. En Haute-Loire, la Banque des Territoires a financé la construction d’une usine de fabrication de plastique biodégradable à partir de la caséine de lait. A Amiens, nous finançons l’usine Ynsect, spécialisée dans la culture d’insectes pour la consommation animale, ce qui évite l’importation de tourteaux de soja pour nourrir de bétail. A Dunkerque, c’est une gigafactory qui fabrique des batteries électriques - ce qui évite d’en importer de Chine - et qui les recycle ; c’est plus durable, surtout si l’usine est alimentée en énergie verte. Sur ce dernier projet, nous sommes même allés jusqu’à compenser l’impact écologique sur la biodiversité, à travers notre filiale CDC Biodiversité.
Quelles sont les ordres de grandeur de vos financements ?
Ce qui détermine notre marge d’action financière, c’est l’épargne des français, qui est considérable : trente-cinq milliards depuis le début de l’année. L’argent n’est pas un problème. La difficulté pour les collectivités que nous accompagnons, c’est de définir des projets consensuels, de les monter et d’avoir la capacité à les mener. Or, il n’y a pas suffisamment d’ingénieurs pour monter les projets et de techniciens pour les réaliser.
La Banque des Territoires prête dix à douze milliards chaque année et consacre deux milliards aux investissements. Dans son rapport, Jean Pisani-Ferry estime que le coût de la transformation écologique est de trois cents milliards. La Caisse des Dépôts peut en financer un tiers, dont
vingt-cinq milliards pour la Banque des Territoires.
Au-delà des financements, comment accompagnez-vous les collectivités ?
Nous avons commencé à faire du conseil avec le programme Action Cœur de Ville, pour aider les villes moyennes à revitaliser leur centre : nous les avons accompagnées avec la réalisation d’études, la définition d’une stratégie globale. Nous avons dédié une enveloppe de cent millions sur cinq ans à ces missions d’ingénierie. Nous avons apporté aussi de l’ingénierie aux petites villes avec le programme Petites villes de demain, pour les aider dans leur stratégie de revitalisation. Cela peut être mettre en place un circuit court ou apporter des solutions à des problèmes particuliers. Par exemple, à Honfleur, ce programme a permis de réorganiser la circulation des cars de tourisme.
Notre accompagnement se joue aussi dans la proximité. La moitié des effectifs de la Banque des Territoires est dans les territoires. Nous travaillons avec les élus et tous les acteurs des territoires, ce qui permet à nos équipes de produire du consensus, de la donnée objective, pour que les décisions puissent se prendre.
Y a-t-il un projet qui vous tient particulièrement à cœur ?
Oui, à Strasbourg. De l’autre côté de la frontière, il y a une grande usine sidérurgique qui dégage énormément de chaleur. Nous finançons un projet de récupération de cette chaleur fatale pour alimenter le réseau de chaleur de Strasbourg. Technologiquement et juridiquement c’est compliqué. Nous avons fait un intense travail de montage et d’accompagnement, dont le financement n’est que le résultat.
Trouvez-vous que les collectivités territoriales se sont suffisamment emparées de ces problématiques ?
Oui, mais de façon variée et hétérogène. Ce qui peut être fait sur le court terme ne pose pas de difficulté : comme la rénovation de l’éclairage public où il y a un taux de retour de 70 à 80 %. Mais dans les financements longs, on sent des réticences. Par exemple, sur la rénovation thermique des bâtiments publics, il y a une hésitation à s’engager dans le temps long alors que la dette écologique est là. Il y a aussi beaucoup de réseaux d’eau qui fuient. Ils ont parfois soixante-dix ou quatre-vingts ans et leur rénovation va se faire sur quarante ans. Les élus hésitent, car ils ne veulent pas endetter les générations futures. Mais eux-mêmes ont hérité d’une dette écologique parce que leurs prédécesseurs n’ont pas fait les travaux nécessaires. Cette réticence montre qu’on n’a pas encore totalement pris conscience de la nécessité d’investir pour la transformation écologique. Heureusement, les mentalités progressent. La crise de l’énergie a fait prendre conscience que ces investissements sont nécessaires et qu’ils ont un taux de retour : les communes qui ont investi dans la rénovation thermique ont beaucoup moins souffert de l’augmentation des prix de l’énergie que les autres.
Et certaines collectivités voient loin : par exemple, la métropole de Nice finance sur quarante ans une nouvelle station d’épuration qui va produire cinq fois plus d’énergie qu’elle n’en a besoin.
Y a-t-il un domaine en particulier où vous engagez un effort plus soutenu ?
Oui, l’eau. La Banque des Territoires s’est engagée à multiplier par deux ses investissements, en passant à deux milliards. Cela représente six à sept milliards de travaux.
Quelles sont les mesures qui sont à votre avis prioritaires pour la transition ?
Beaucoup est déjà fait et les financements ne manquent pas. Le sujet, c’est l’éducation et la formation aux métiers de la rénovation énergétique, de l’énergie, de l’eau… Dans cette économie de la transition, nous avons besoin d’entreprises capables de mener des projets de rénovation thermique d’écoles et de logements, de techniciens pour déployer des réseaux de chauffage urbain, d’ingénieurs de réseaux hydrauliques, d’ingénieurs et de techniciens qui maîtrisent les technologies de l’hydrogène…
Sans ces compétences, les projets ne pourront pas être réalisés, même s’ils sont financés.