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Grand entretien
Christophe Béchu, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires
Les catastrophes climatiques qui se succèdent et les alertes lancées depuis de nombreuses décennies par la communauté scientifique, rappellent l’impérieuse nécessité de décarboner la société et d’engager des actions visant une réelle et concrète sobriété énergétique. Le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, revient sur les enjeux soulevés lors du dernier Conseil de planification écologique, et les objectifs visés par la France pour réduire de 55 % ses émissions de gaz effet de serre d’ici 2030.
Entretien réalisé par Hélène Imatte
« Il nous faut passer du “tout-jetable” à une société de la sobriété, du réemploi, de la réparation et de la durabilité »
Dans le discours d’Emmanuel Macron lundi 25 septembre sur la planification écologique, le chef de l’Etat a évoqué une “écologie à la française”, loin de la “cure” décroissante souhaitée par les Verts et du “déni” porté par une partie de la droite et de l’extrême-droite. De quoi s’agit-il précisément ?
L’écologie à la française c’est assumer une troisième voie entre ceux qui vous disent d’un côté que l’écologie c’est décroître, interdire et taxer et, de l’autre, qu’il ne faut surtout rien faire pour ne pas « emmerder » les Français. Entre ces deux formes de populisme écologique, il y a le chemin que nous essayons de construire.
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Ce chemin, il passe d’abord par une écologie des solutions, qui assume une ambition climatique forte sans laisser aucun Français dans l’impasse. Deux exemples : quand nous faisons les « zones à faible émission » qui limitent l’accès des véhicules les plus polluants à certaines métropoles, nous proposons aux habitants les plus modestes de ces territoires une aide pour se procurer, en leasing, une voiture électrique à cent euros par mois ; quand nous assumons de limiter l’étalement urbain avec le « zéro artificialisation nette », nous ouvrons aux maires, notamment des plus petites communes, des marges de souplesse. En matière environnementale, donner des solutions est une condition de l’ambition.
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L’écologie à la française c’est aussi une écologie qui assume de préserver les libertés individuelles et qui fait confiance au terrain. Nous estimons que s’appuyer sur la responsabilité des acteurs locaux est une méthode beaucoup plus puissante que d’imposer une contrainte d’en haut. C’est ce que nous faisons avec la planification écologique : nous avons fixé des objectifs nationaux de décarbonation et, dans le cadre des COP régionales que la Première ministre m’a demandé de lancer, nous laissons à chaque territoire le soin de s’organiser pour trouver les leviers adaptés pour les atteindre. La confiance plutôt que la contrainte !
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Enfin, l’écologie à la française c’est une écologie de mobilisation nationale. Les Français que je vois dans mon Tour de France de l’écologie, ils veulent changer, ils veulent agir. Les Français, ils ne sont ni anticapitalistes, ni climatosceptiques : ils veulent mieux vivre, ils veulent protéger l’environnement auquel ils tiennent mais en préservant leur liberté et leur identité. La question c’est comment on donne un cap et une direction à cette énergie. C’est ce que nous leur proposons avec la planification écologique. L’écologie à la française, c’est l’écologie des Français, tout simplement.
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Emmanuel Macron a fixé l’objectif d’un million de voitures électriques produites en France
en 2027. L’objectif est ambitieux, est-il seulement atteignable ?
L’objectif fixé par le Président de la République d’un million de voitures électriques produites en France d’ici 2027 est ambitieux, mais il est aligné sur nos engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre et nos investissements. Nous le savons, atteindre cet objectif nécessitera des efforts de tous les acteurs : le Gouvernement, l’industrie automobile, toute la chaîne de sous-traitance mais aussi tous les Français.
Pour remplir cet objectif nous agissons sur plusieurs plans. Nous avons lancé avec la Ministre de la Transition énergétique et le Ministre délégué aux Transports les appels à projets d’électrification des véhicules lourds, afin de mettre en place des bornes de recharges notamment sur les aires d’autoroutes, mais aussi l’éco conditionnalité du bonus auto pour favoriser l’achat de véhicules électriques. Enfin, l’offre de leasing à cent euros que j’ai déjà évoquée - qui vise à rendre accessible l’utilisation des véhicules électriques aux ménages les plus modestes - est officiellement ouverte. C’était une promesse du Président de la République. Il s’agit d’une mesure profondément sociale car nous savons que, pour les Françaises et les Français, la fin du monde ne doit pas être opposée à la fin du mois.
De la même manière, la planification écologique prévoit de tripler la production de pompes à chaleur en trois ans, pour atteindre le million d’ici 2027. Selon de nombreux experts du secteur, cela paraît irréaliste. De quelle manière entendez-vous structurer la filière industrielle française pour atteindre ces objectifs affichés ?
On estime à environ trois millions le nombre de logements chauffés avec des pompes à chaleur en 2022, soit 10 % des trente millions de logements. Deux millions six cent mille d’entre eux utilisent des pompes à chaleur air-eau. Rien que pour l’année 2022, trois cent cinquante mille nouvelles pompes à chaleur ont été installées : c’est une hausse exceptionnelle de 30 % par rapport à 2021. Je ne peux que m’en féliciter, mais nous pouvons faire encore mieux.
Aujourd’hui, en France, on compte environ une dizaine de fabricants de pompes à chaleur et notre balance commerciale des imports/exports internationaux est équilibrée en la matière. Mais la production française doit être au rendez-vous de la massification. Une part importante de la valeur ajoutée devra à l’avenir être produite en France, entre 30 et 60 % selon les fabricants. Les fabricants français ont déjà commencé à se doter de nouvelles capacités de production. Ils nous montrent que l’écologie est une chance pour la réindustrialisation et la souveraineté économique de notre pays.
Nous nous mettons en ordre de marche pour remplir l’objectif fixé par le Président de la République et je suis confiant du fait que nous y arriverons.
La France a été épinglée à l’été par Bruxelles pour ses performances insuffisantes en
matière de recyclage et de tri des déchets, avec seulement 23 % des emballages plastiques collectés et recyclés. L’objectif étant de sortir du plastique à usage unique en 2040, comment satisfaire
cette trajectoire ?
Le Gouvernement a choisi un cap clair en matière de recyclage et de tri des déchets plastiques. Notre pays a d’abord pour ambition de diminuer notre consommation de plastique à usage unique. Pourquoi ? Parce que ces plastiques contribuent de façon décisive à la pollution de la faune et de la flore : au rythme de production actuel sur le plan mondial, il y aura bientôt plus de plastique que de poissons dans les océans si rien n’est fait ! Ne penser qu’au recyclage, c’est oublier que la priorité doit être la limitation de la consommation de ces plastiques à usage unique et de la pollution plastique. Il faut donc avancer dans ces deux directions et regarder, territoire par territoire, ce que sont les bonnes solutions. On constate qu’il y a des écarts considérables entre les intercommunalités. Là encore, il faut adapter les solutions aux territoires et laisser de la liberté aux collectivités. Fixer un objectif ambitieux et assumer qu’il y ait une souplesse sur la façon d’atteindre cet objectif, c’est le cœur de notre stratégie.
Le budget de MaPrimeRénov’ (dispositif phare qui finance les travaux de rénovation énergétique) va quasiment doubler pour passer à quatre milliards d’euros en 2024. L’annonce est généreuse mais, dans les faits, l’accès au dispositif sera aussi plus restrictif. Cette hausse est-elle suffisante pour toucher tous les ménages français ?
Dans le cadre de la planification écologique, tous les secteurs sont mobilisés pour accélérer la baisse
des émissions de gaz à effet de serre. Le secteur du bâtiment représente 47 % des consommations énergétiques annuelles françaises et génère 18 % des émissions nationales de gaz à effet de serre. Pour permettre aux ménages d’améliorer le confort de leur logement et de réduire leur consommation d’énergie, pour atteindre nos objectifs de décarbonation, le Gouvernement a fait de la rénovation énergétique une priorité.
Notre outil principal pour accomplir cette transition, c’est MaPrimeRénov’. C’est une aide massive et ouverte à tous les propriétaires, occupants comme bailleurs. Depuis son lancement en 2020, près d’un million et demi de foyers ont pu bénéficier de MaPrimeRénov’ pour réaliser des travaux dans leur logement. Ce dispositif est majoritairement orienté vers les ménages les plus vulnérables. Plus des deux tiers des bénéficiaires de cette aide sont des publics aux revenus modestes ou très modestes. C’est une grande fierté pour moi.
Mais l’efficacité du dispositif ne se mesure pas qu’aux sommes qui y sont dédiées. Nous travaillons également au renforcement de la performance des rénovations et au meilleur ciblage des aides afin que les soutiens bénéficient davantage aux ménages les plus modestes. Pour remplir ces objectifs, le dispositif est restructuré en deux piliers : un pilier performance et un pilier efficacité.
Au total, en tenant compte de l’ensemble des enveloppes, près de cinq milliards d’euros d’engagements sont prévus en 2024 pour accompagner la rénovation des logements, soit une hausse d’un milliard six cent mille euros par rapport à 2024. Cette augmentation considérable viendra soutenir notamment la montée en charge des rénovations performantes, avec un objectif de deux cent mille rénovations dès 2024. C’est considérable et tout à fait en ligne avec nos ambitions.
Le “bonus réparation” mis en place le 15 décembre 2022, peine à se mettre en place. En mai, seulement vingt mille réparations avaient alors bénéficié de ce dispositif. Pensez-vous que l’élargissement que vous venez d’annoncer sur les smartphones à compter du 1er janvier 2024, va inciter davantage de Français à le solliciter ?
Notre ambition en matière d’économie circulaire est claire : il nous faut passer d’une société du « tout-jetable » à une société de la sobriété, du réemploi, de la réparation, de la durabilité. Un chiffre illustre l’ampleur du défi : allonger la durée de vie d’un an du gros électroménager français, c’est économiser la consommation énergétique annuelle d’une métropole comme Lyon ou Marseille. Réparer, c’est un petit changement d’habitude qui a des effets massifs sur nos émissions de gaz à effet de serre.
Mais c’est aussi une chance pour notre pouvoir d’achat et pour notre économie ! C’est aussi ça, l’écologie à la française : voir dans la transition écologique une opportunité pour la planète, bien sûr, mais aussi pour le pouvoir d’achat des Français, pour notre souveraineté économique et pour l’emploi durable sur tout le territoire national.
Le bonus réparation est un outil central de notre stratégie en matière d’économie circulaire. Il permet de consacrer plus de quatre cents millions d’euros sur la période 2022-2027 pour réparer les équipements électroménagers, électriques et électroniques. C’est pratiquement cinquante millions d’euros destinés chaque année à la réparation des seuls équipements électriques et électroniques. C’est d’autant plus considérable que d’autres bonus réparation seront déployés.
Celui des textiles le 7 novembre et prochainement celui des vélos et vélos électriques. Là encore, ce sont près de cent millions d’euros qui seront consacrés à la réparation des cycles. Le bonus réparation est donc un outil précieux mais nous pouvons l’améliorer pour le rendre plus avantageux, plus accessible et plus efficace dans la lutte contre le gaspillage et l’obsolescence programmée.
Vous évoquez l’extension du bonus à la casse pour les écrans de téléphones. C’est une mesure importante. Mais j’ai annoncé le 20 octobre dernier, chez SEB, une réforme de plus grande ampleur encore du bonus réparation. Au 1er janvier prochain, le bonus réparation sera simplifié, élargi et augmenté : le nombre de réparateurs labellisés (trois mille quatre cents) sera doublé, les réparations à distance seront incluses dans le dispositif, vingt-quatre nouveaux produits porteront le nombre de produits éligibles à un total de soixante-treize, le bonus sera augmenté de cinq euros sur une vingtaine de produits et doublé pour cinq produits du quotidien (lave-linge, lave-vaisselle, sèche-linge, téléviseur et aspirateur). En 2024, le bonus réparation change d’échelle pour accélérer notre transition vers une économie plus circulaire. C’est une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat et l’environnement !